Bob Dugan, SCHL

L’inflation au Canada a atteint le niveau le plus élevé en près de quatre décennies, ce qui a incité à relever les taux directeurs en vue d’autres hausses à venir. Cela aura une incidence sur la croissance du prix des maisons au Canada et sur la capacité de l’industrie à créer des logements dont on a grandement besoin pour aider à rétablir l’abordabilité.

L’économiste en chef de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, Bob Dugan, explore en profondeur certaines de ces questions pressantes et examine comment les différents taux d’intérêt et scénarios économiques influeront sur l’activité du logement.

 Beaucoup se demandent ce que cela signifie pour l’activité future dans le secteur de l’habitation. Les principales préoccupations sont :

  • les perspectives de croissance des prix des habitations au Canada;
  • la capacité du secteur à accélérer l’offre de logements pour commencer à rétablir l’abordabilité du logement au pays.

Dans le présent article, la SCHL essaie de répondre à certaines de ces préoccupations importantes et d’examiner l’impact que pourraient avoir différents scénarios de taux directeur et d’activité économique sur le secteur de l’habitation.

Qu’est-ce qui pourrait arriver selon différents scénarios de taux d’intérêt et d’activité économique?

Pendant la pandémie de COVID-19, la demande des ménages a repris rapidement après les fortes baisses initiales. Cependant, l’offre de biens et de services n’a pas suivi le rebond de la demande.

La guerre en Ukraine a fait monter les prix de l’énergie et des produits de base, et la politique zéro COVID de la Chine a entraîné d’autres perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Ces 2 facteurs externes ont contribué à la hausse de l’inflation.

L’économie canadienne s’est remise de la pandémie. Grâce à la forte croissance économique et à l’importante création d’emplois, le taux de chômage s’est établi à un creux historique de 4,9 %. Au début de 2022, la Banque du Canada estimait que la demande de biens et de services était en train de dépasser la capacité de production de l’économie canadienne1.

Cette demande excédentaire est une source importante de pression à la hausse sur l’inflation. Pour contrer l’inflation, la Banque du Canada a haussé son taux directeur 3 fois de suite, pour un total de 125 points de base entre mars et la fin de juin 2022. Les économistes sont d’avis que d’autres majorations du taux directeur de la Banque du Canada sont à prévoir.

En raison de l’incertitude généralisée, la SCHL a élaboré 2 scénarios pour comprendre l’impact potentiel de la situation sur le logement : un scénario de taux d’intérêt modéré et un scénario de taux d’intérêt élevé.

Dans le scénario de taux d’intérêt modéré, le taux directeur atteindrait 2,5 % d’ici le début de 2023 et demeurerait à ce niveau jusqu’à la fin de 2025. Ce taux directeur ne stimulerait pas la croissance économique, mais il ne la freinerait pas non plus (taux directeur neutre).

Dans ce scénario, la hausse modérée des taux d’intérêt serait suffisante pour maîtriser l’inflation, puisque les ménages sont sensibles à l’augmentation des taux compte tenu de leur fort endettement.

Dans le scénario de taux d’intérêt élevé, la Banque du Canada serait obligée de prendre des mesures plus fortes pour éviter que la demande excédentaire n’entraîne une escalade des prix et des salaires en réponse aux attentes inflationnistes élevées. Cette intervention plus musclée serait nécessaire pour ralentir la croissance de l’économie afin que la demande excédentaire s’essouffle et que les attentes d’inflation se modèrent. Elle permettrait ainsi de ramener l’inflation globale à sa cible de 2 %.

Selon ce scénario, le taux directeur de la Banque du Canada augmenterait de façon plus marquée : il monterait à 3,5 % au début de 2023, avant de revenir graduellement au taux neutre de 2,5 %. Dans les 2 scénarios, l’inflation reviendrait à la barre des 2 % d’ici la fin de 2023.

[1] https://www.banqueducanada.ca/wp-content/uploads/2022/04/rpm-2022-04-13.pdf

Figure 1 – Produit intérieur brut (PIB), Canada (dollars enchaînés – 2012) (2015 à 2025)

 

Sources : Statistique Canada et SCHL (prévisions)

 

La politique monétaire a une incidence sur d’autres variables macroéconomiques. Selon le scénario modéré, le PIB (produit intérieur brut) du Canada devrait augmenter de 4,1 % en 2022 et de 2,2 % en 2023. Les facteurs externes qui contribuent à l’inflation devraient disparaître d’ici 2023. Par conséquent, la forte croissance de l’économie serait soutenue par la demande et l’offre de biens et de services. Par contre, la hausse marquée du taux directeur dans le scénario de taux d’intérêt élevé ralentirait la croissance. Selon ce scénario, le PIB devrait augmenter de 3,4 % en 2022 et de 0,7 % en 2023. La croissance économique toucherait un creux entre le quatrième trimestre de 2022 et le premier trimestre de 2023. Elle serait légèrement négative durant ces 2 trimestres, ce qui signalerait une faible récession.

Dans les 2 scénarios, le ralentissement économique entraînerait une hausse du taux de chômage. Ce dernier, qui se situait à un creux historique de 4,9 % en juin 2022, devrait atteindre 6,2 % à plus long terme. Selon le scénario de taux d’intérêt élevé, le taux de chômage culminerait à 7 % au début de 2023 en raison de l’affaiblissement de la conjoncture économique.

Les hausses du taux directeur font monter d’autres taux d’intérêt. Selon le scénario de taux d’intérêt élevé, le rendement des obligations à 10 ans du gouvernement du Canada et le taux fixe des prêts hypothécaires ordinaires de 5 ans augmenteraient rapidement au milieu de 2022. À la fin de 2022, le taux fixe des prêts hypothécaires de 5 ans s’élèverait à 5,7 %. En 2023, la baisse des taux des obligations et des taux hypothécaires refléterait une normalisation du taux directeur et une reprise économique.

Figure 2 – Taux des prêts hypothécaires ordinaires de cinq ans, Canada (2015 à 2025)

 

Sources : Statistique Canada et SCHL (prévisions)

Que signifient ces scénarios pour les marchés de l’habitation au Canada?

hausse des taux ralentira la croissance économique, ce qui fera augmenter le chômage et diminuer la croissance des salaires. Ces facteurs, conjugués à la hausse des taux hypothécaires, rendront l’accès à la propriété plus difficile. La majoration des taux fera aussi augmenter les coûts de construction, surtout en raison des coûts de financement accrus. La hausse des coûts de construction, des coûts des matériaux et de la pénurie de main-d’œuvre limitera l’offre de logements. L’activité dans l’ensemble des marchés de l’habitation au Canada devrait diminuer d’ici le milieu de 2023.

La forte croissance des prix sur le marché de l’habitation ces deux dernières années n’est pas soutenable. Les prix des logements sont devenus inabordables pour une grande partie des accédants à la propriété, ce qui s’est traduit par un ralentissement en 2022. Les hausses prévues des coûts d’emprunt feront ralentir davantage la croissance des prix des habitations en 2022 et en 2023. Dans le scénario de taux d’intérêt élevé, le prix moyen national demeure élevé, mais il diminuerait de 5 % d’ici le milieu de 2023 par rapport à son niveau du début de 2022. Le scénario de taux d’intérêt modéré laisse entrevoir une baisse de 3 % durant la même période.

Les taux hypothécaires commenceront à se stabiliser en 2024. Soutenus par la hausse du revenu des ménages et de l’immigration, les prix des logements devraient retrouver une croissance positive, mais modérée. La persistance des prix élevés durant la période à l’étude pèsera sur l’abordabilité des logements pour propriétaires-occupants. Comme la SCHL le mentionne dans son rapport Pénurie de logements au Canada – Estimation des besoins pour résoudre la crise de l’abordabilité du logement au Canada d’ici 2030, une telle situation ferait augmenter la pression sur le marché locatif. Les personnes qui songeaient à acheter une habitation demeureront locataires plus longtemps, et les taux d’inoccupation des logements locatifs baisseront davantage.

Figure 3 – Prix MLS® moyens des habitations, Canada (2015 à 2025)

 

Sources : Association canadienne de l’immeuble et SCHL (prévisions)

 

Les mises en chantier d’habitations devraient diminuer par rapport à leurs niveaux records de 2021, mais elles demeureront élevées comparativement à leur moyenne à long terme.

À court terme, les mises en chantier d’habitations seront limitées par :

  • la pénurie de main-d’œuvre;
  • la forte augmentation des coûts des matériaux;
  • la hausse des coûts de financement causée par la montée des taux d’intérêt.

Cependant, les prix élevés continueront de favoriser les mises en chantier d’habitations. Sous l’effet combiné des différents facteurs, le niveau des mises en chantier devrait légèrement diminuer. À long terme, la construction résidentielle restera forte par rapport aux moyennes historiques. Les mises en chantier d’habitations seront soutenues par les niveaux élevés des prix et de la population.

Figure 4 – Mises en chantier d’habitations, Canada (2015 à 2025)

 

Sources : Association canadienne de l’immeuble et SCHL (prévisions)

 

Selon les projections, les ventes de logements demeureront élevées par rapport aux moyennes d’avant la pandémie, mais seront inférieures à leur sommet de 2021. Elles seront modérées par la hausse des taux hypothécaires et la diminution de l’abordabilité du logement.

Selon le scénario de taux d’intérêt élevé, les ventes de logements au Canada diminueraient de 34 % d’ici le milieu de 2023, par rapport à leur niveau du début de 2022. Dans le scénario de taux d’intérêt modéré, leur baisse se chiffrerait à 29 %. Grâce à la stabilisation des taux hypothécaires et à la reprise économique après le ralentissement de 2023, les ventes de logements projetées se redresseraient et se rapprocheraient de leur tendance à long terme.

Qu’est-ce qui pourrait assombrir ces perspectives?

Ces scénarios ne tiennent pas compte de tous les risques de baisse qui pèsent sur les prévisions. Une augmentation des tensions géopolitiques pourrait faire monter les prix des produits de base, tandis que de nouvelles éclosions de COVID-19 pourraient prolonger les perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

Ces deux possibilités maintiendraient l’inflation à un taux élevé à court et à moyen terme. Il pourrait falloir resserrer davantage la politique monétaire et conserver les taux élevés plus longtemps que dans notre scénario de taux d’intérêt élevé. Cette intervention plus musclée permettrait de modérer les attentes des ménages et des entreprises et de ramener l’inflation à la cible de 2 %.

Dans le pire des cas, une stagflation pourrait s’ensuivre.

Le système financier mondial risquerait de s’affaiblir, sous le poids des taux d’inflation élevés et de l’alourdissement de la dette publique et de la dette privée. L’économie se dégraderait chez les partenaires commerciaux du Canada, et les taux d’intérêt mondiaux augmenteraient. Cette situation minerait l’économie canadienne, car elle réduirait les exportations et l’accès aux capitaux, ou encore ferait croître les coûts d’accès aux capitaux.

Enfin, la demande de logements pour propriétaires-occupants pourrait diminuer davantage que prévu si le coût de la vie continue d’augmenter à un rythme accéléré et que le coût des emprunts demeure élevé. L’évolution du prix moyen pourrait être trompeuse si les ménages se tournent davantage vers les logements ou les régions plus abordables.

L’économie et les marchés de l’habitation ont connu une grande volatilité tout au long de la pandémie. Nous nous attendons à ce que l’incertitude persiste à court terme. La SCHL continuera de surveiller ces marchés et de diffuser de l’information afin d’aider les membres de la population canadienne à mieux comprendre l’incertitude et ce qu’elle signifie pour eux.